L’évolution de l’incrimination du viol de guerre en droit international pénal : du silence des textes internationaux au crime international.
Si l’histoire du viol en temps de guerre est aussi dense que l’histoire de la guerre elle-même, elle fut, néanmoins ignorée et passée sous silence durant des siècles en ce que celui-ci était seulement considéré comme un » événement malheureux » lié au contexte atypique et, par essence, violent de la guerre. C’est là toute l’idée du viol comme « dommage collatéral » de la guerre.
Pendant des siècles, la violence sexuelle dans les conflits traverse donc l’Histoire sans être dénoncée. Les violences sexuelles furent également très répandues durant la Seconde Guerre Mondiale mais leur dénonciation fut réduit au mutisme sans qu’aucune mention ne soit faite à ces exactions dans les Chartes de Nuremberg ou de Tokyo. Par conséquent, aucune condamnation pour viol, en tant que crime international à part entière, n’avait été prononcée devant le tribunal de Nuremberg malgré sa prise en compte pour fonder des accusations.
Toutefois, si le caractère silencieux de cette arme de destruction a contribué à obstruer sa sanction, force est de constater que, comme tout juriste averti devrait le savoir, il demeure encore aujourd’hui fort improbable qu’un crime ne soit puni s’il n’est pas lui même reconnu, encadré et sanctionné par le droit.
C’est donc cette absence de répression formelle gravée dans le droit international, elle même liée à l’absence d’incrimination du viol de guerre lui même, qui faisait défaut dans la punition de cet acte lors des conflits passés. En effet, en vertu du principe de légalité des délits et des peines développé par Cesare Beccaria au XVIIIe siècle, personnifié par l’adage « Nullum crimen, nulla pœna sine lege », aucun crime ne peut être puni et aucune peine ne peut être prononcée en l’absence d’un texte pénal clair et précis.
A ce titre, la première grande étape dans l’incrimination et la reconnaissance du viol de guerre furent les quatre Conventionsde Genève du 12 aout 1949 qui, bien que leur article 3 commun ne cite pas expressément le viol et les autres formes de violence sexuelle, avaient interdit « les atteintes portées à la vie et à l’intégrité corporelle » ainsi que « les atteintes à la dignité des personnes». Le viol sera même cité expressément dans l’article 4§2 du Protocole additionnel II de 1977 en énonçant que « demeurent prohibées en tout temps et en tout lieu (…) les atteintes à la dignité de la personne, notamment les traitements humiliants et dégradants, le viol, la contrainte à la prostitution… ».
Ce mouvement timide mais certain visant à l’incrimination du viol de guerre dans le droit international humanitaire, régissant la manière de faire la guerre pour limiter les souffrances des soldats/civils, a inévitablement connu une intensification face aux atrocités commises lors des conflits armés en Sierra Leone (1991), au Rwanda (1994) et en Bosnie-Herzégovine (1992-95) laissant ainsi place à des juridictions pénales internationales instituées par des résolutions du Conseil de Sécurité de l’Organisation des Nations Unies. Ces juridictions, lors de leurs décisions respectives s’inspirant les unes des autres, se sont affirmées en tant que véritables catalyseurs dans le développement du droit pénal international pour la protection contre les violences sexuelles.
Nous devons notammentcette incrimination du viol en droit international humanitaire, au Tribunal Pénal International pour l’Ex-Yougoslavie (TPIY) institué le 22 février 1993 par la résolution 808 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, au Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR) également créé le 8 novembre 1994 par le Conseil de sécurité lors de sa résolution 955 et enfin, auTribunal spécial pour la Sierra Leone mis en place le 14 août 2000, par la résolution 1315.
Pourquoi la définition du viol de guerre, aussi cruciale fusse-t-elle, était si difficilement appréhendée par le droit international humanitaire et ses juridictions ?
Au risque de paraitre excessivement simpliste, la première raison relève tout d’abord du fait que le viol de guerre est un acte effroyable et unique (dans son sens le plus péjoratif) poussant la cruauté humaine vers ses plus lointaines limites comme l’expliquait Céline BARDET en affirmant que le viol en temps de guerre touche aussi bien des femmes, des hommes, des enfantsmais aussi des bébés.En effet, il est communément admis que « le viol consiste à soumettre un individu par la force ou la violence à une relation sexuelle non volontaire ». Néanmoins, si cette définition semble pertinente dans sa réalité, le viol de guerre ne répond pas à de simples pulsions ressenties par les soldats et constitue réellement une arme de guerre décidée dans les plus hauts lieux du pouvoir afin de détruire en réduisant à néant, physiquement et psychologiquement, les populations visées. L’incrimination du viol de guerre devait donc préalablement passer par une définition adéquate dans le processus d’incrimination en prenant, paradoxalement, un certain recul par rapport aux droits nationaux ne connaissant pas le viol dans ce type de contexte tout en s’y rattachant pour établir ses éléments constitutifs.
A titre d’exemple, en janvier 1996, le Rapporteur spécial pour le Rwanda avait fourni un rapport à la Commission des droits de l’homme des Nations Unies en disant ceci :
« Les formes de viols ne témoignent pas moins de leur systématisation et on peut en retenir deux : les viols collectifs et les rapports incestueux. Les premiers consistent pour la victime à être violée par plusieurs bourreaux à la fois et de nombreuses femmes ayant subi ce type de viols y succombaient. Les seconds sont encore plus révélateurs du caractère systématique, mais aussi atroce des viols : des parents directs, au sens des personnes ayant des liens de consanguinité, ont été contraints d’avoir des rapports incestueux et des miliciens forçait des pères ou des fils à avoir des relations sexuelles avec leurs filles ou leur mère et vice versa. A ces différentes atrocités s’ajoutent des sévices divers ayant généralement causé la mort des femmes. Certaines ont subi des humiliations sexuelles : elles ont été déshabillées et/ou balafrées et présentées à la raillerie du public. D’autres ont vu introduire dans leur sexe des morceaux de branches .»
Lacunaires semblent alors les droits nationaux dans leur manière d’appréhender le viol face à de telles atrocités et le TPIR, face aux atrocités commises au cours du conflit rwandais, a été le premier des tribunaux internationaux ad hocà avoir reconnu aux violences sexuelles la qualité de crime international dans l’affaire Akayesu du 2 septembre 1998*.
En effet, ce fut au cours de cette affaire concernant Jean-Paul Akayesu, ancien bourgmestre de la commune de Taba où de nombreuses femmes avaient été soumises à des sévices sexuels par des policiers et miliciens locaux, qu’une véritable protection pénale internationale pour les victimes de viols a été créée.
Tout l’intérêt de ce jugement résidait dans le fait que la Chambre du TPIR s’était prononcée sur la question de savoir si le crime de viol pouvait être constitutif de crime de génocide. A ce titre, la Chambre avait considéré que le crime de génocide requérant la preuve d’une intention spécifique, les actes de viol devaient être commis dans le but de « détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux» comme énoncé dans l’article 2.2 du Statut du Tribunal. La réponse apportée par le Tribunal fut positive au regard des actes commis et commandés par les hommes agissant sous le contrôle de Jean-Paul Akayesu qui avaient violé des femmes sous la contrainte et la menace de mort.
A ce titre, cette affaire est bien historique en ce que, pour la première fois, un tribunal international condamnait les violences sexuelles, y compris le viol, en tant qu’actes constitutifs de génocide. De plus, la Chambre, à l’occasion de cette affaire Akayesu, avait également élargi la définition du viol au-delà de celles prévues dans les lois nationales en considérant que le viol est constitué par « […] tout acte sexuel commis sur la personne d’autrui sous l’empire de la coercition. L’acte de violence sexuelle, loin de se limiter à la pénétration physique du corps humain, peut comporter des actes qui ne consistent pas dans la pénétration ni même dans des contacts physiques ». En ce sens, les juges du Tribunal avaient alors défini le viol comme une invasion physique de nature sexuelle, de sorte que celui-ci soit assimilé à une forme de torture. En conséquence, en plus de sa condamnation pour génocide, crimes de guerre et crimes contre l’humanité, Jean-Paul Akayesu fut condamné pour les viols commis et le fait d’avoir encouragé leur perpétration par des miliciens/policiers à l’encontre des Tutsi.
Parallèlement, le Tribunal Pénal International pour l’Ex-Yougoslavie avait repris dans l’arrêt Furundzija du 10 décembre 1998, la définition du viol formulée par le TPIR dans Akayesu tout en précisant ses éléments constitutifs en menant une étude dantesque des différentes législations nationales dont celles la Suisse, du Japon, de l’Estonie, de la Bosnie-Herzégovine ou encore du Canada pour dégager trois aspects récurrents des éléments de définition du viol dans ces Etats.
A ce titre, la définition retenue par l’arrêt Furundzija concernant les éléments matériels constitutifs du viol, reprise dans l’affaire Foca du 12 juin 2002, est la suivante : le viol est constitué par « la pénétration sexuelle, fût-elle légère du vagin ou de l’anus de la victime par le pénis ou tout autre objet utilisé par le violeur; ou de la bouche de la victime par le pénis du violeur; par l’emploi de la force, de la menace ou de la contrainte contre la victime ou une tierce personne ».
De plus, la Chambre de première instance du TPIY avait décidé qu’il n’était pas nécessaire de prouver de la part de la victime une résistance à l’acte afin d’établir la commission du viol en ce qu’il suffit de démontrer l’intention, pour l’auteur de l’acte,de pénétrer la victime tout en sachant que cette dernière n’y consent pas.
Concernant l’affaire relative au tristement connu « Camp de Celibici », la Chambre de première instance du TPIY avait pour la première fois retenu le 16 novembre 1998, la qualification de torture des actes de viol en considérant que « la souffrance physique, la peur, l’angoisse, l’incertitude et l’humiliation auxquelles les Appelants ont à plusieurs reprises soumis leurs victimes, font de leurs actes des actes de torture. »
Ainsi, les jurisprudences du TPIR et du TPIY constituent les bases fondatrices de l’incrimination des violences sexuelles en droit international pénale, les qualifiant d’actes constitutifs de génocide, de crime contre l’humanité, de crime de guerre, de torture et de violations graves d’un certain nombre de textes de droit international humanitaire.
La Cour Pénale Internationale, instituée par le Statut du Rome en date du 17 juillet 1998, s’est ensuite très largement inspirée de ces décisions pour qualifier le viol de guerre comme arme de guerre. En effet, pour être considéré commeun crime contre l’humanité, la violence sexuelle doit être perpétrée dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique (art. 7.1.g) et pour être constitutif d’un crime de guerre,la violence sexuelle doit être commise dans le contexte d’un conflit armé international ou non international et s’inscrire dans le cadre d’un plan ou d’une politique ou dans le contexte de crimes commis sur une grande échelle (art. 8.2.b.xxii, et 8.2.e.vi du statut de la CPI).
De plus, toujours selon le Statut de Rome, le viol requiert que l’auteur ait pris possession du corps d’une personne de telle manière qu’il y a eu pénétration, même superficielle, d’une partie du corps de la victime ou de l’auteur par un organe sexuel, ou de l’anus ou du vagin de la victime par un objet ou toute partie du corps (Cf, affaire Furundzija*). De plus, l’usage ou la menace de la force à travers la menace de violences, contrainte, détention, pressions psychologiques… est également requise.
Ainsi, grâce aux décisions rendues par le TPIR et TPIY ainsi que leur consécration par le Statut de Rome, une uniformisation quant à l’incrimination du viol de guerre a été mise en place sortant ainsi ce crime de l’ombre. Les Nations Unies ont, à ce sujet, publié un communiqué de presse le 19 juin 2008, condamnant fermement ce crime et manifestant leur volonté de le combattre.
Aujourd’hui donc, le viol de guerre dispose d’une assise juridique certaine qui ne fait plus débat en droit pénal international, d’autant plus qu’il peut être envisagé comme constitutif d’un crime de génocide. Malgré tout, la règle reste l’impunité dans ce domaine. Un tel constat nous mène donc à considérer que le problème s’est déplacé et ne réside plus dans le vide juridique dont le viol de guerre a pu faire l’objet, mais autour de la capacité à collecter des éléments recevables devant un tribunal.
Telle est la direction que doit prendre le combat contre l’impunité des violences sexuelles commises en temps de guerre et c’est dans cette lutte que WWoW s’engage. Grâce à l’expérience et l’expertise juridique de Céline BARDET, WWoW travaille sur une nouvelle approche de ce phénomène en se concentrant sur les survivant e s des violences sexuelles en temps de guerre. Grâce au développement du Back Up, le projet est, entre autres, de récupérer et authentifier les témoignages de victimes qui permettront, par la suite, de constituer des éléments solides à intégrer dans des dossiers recevables devant les juridictions internationales. Bassem ALAOUI *TPIR, Le Procureur c. Jean-Paul Akayesu, 2 septembre 1998, Aff n° ICTR-96-4-T *TPIY, Le procureur c. Anto Furundzija, 10 décembre 1998, Aff. n° IT-95-17/1-T.