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Les réponses judiciaires en matière de violences sexuelles liées aux conflit

Quelques exemples

LES TRIBUNAUX ÉTRANGERS ET LE MÉCANISME DE COMPÉTENCE UNIVERSELLE

Un nouveau levier pour juger les violences sexuelles liées aux conflits

Les tribunaux de chaque Etat ont normalement compétence uniquement pour les crimes qui ont un lien avec cet Etat (le crime est commis sur le territoire, la victime ou l’auteur ont la nationalité du pays). Cependant, il existe pour les crimes internationaux un mécanisme particulier qui permet aux tribunaux d’un Etat de se saisir d'une affaire, quels que soient la nationalité de l’auteur ou de la victime, et l'endroit où ils ont été commis : c’est le mécanisme de la compétence universelle. Cela repose sur l’idée que ces crimes sont si graves que chaque Etat doit pouvoir les juger.

Ce mécanisme diffère en fonction des Etats et de la législation nationale, et impose des critères plus ou moins stricts pour permettre de juger ces crimes. Selon les législations nationales, un lien avec l'Etat est tout de même exigé, il faut alors que l’accusé réside ou soit présent sur le territoire. Des pays tels que l’Allemagne, la Belgique ou encore l’Angleterre ont été précurseurs en la matière, ce qui leur a permis de juger des auteurs de crimes internationaux.

Au delà de ces critères propres à chaque Etat, pour pouvoir porter plainte pour des faits de violences sexuelles liées aux conflits en tant que crime international, ces faits doivent être qualifiés, selon les circonstances dans lesquelles ils ont été commis, de génocide, de crime contre l’humanité ou de crime de guerre ou d’acte de torture. Chacun de ces crimes se compose d'éléments constitutifs (tels que définis par le Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale).

LA COMPÉTENCE UNIVERSELLE EN FRANCE

La France défend une application restrictive de ce mécanisme. En effet, la loi française prévoit des conditions assez difficiles à réunir, appelées les "quatre verrous de la compétence universelle"[1]. Ainsi, ce type de procès peut être engagé : 

  • Uniquement à la requête du ministère public ;

  • Si la CPI a bien décliné sa compétence ;

  • Si l’accusé réside en France depuis un certain temps ;

  • Si il y a double incrimination, c'est à dire, que le crime soit puni à la fois par la loi française et par celle du pays où le crime a été commis.

Ce dernier critère a récemment été interprété de manière restrictive dans un arrêt rendu par la Cour de Cassation française [2], qui a soulevé que la loi syrienne ne prévoit pas l'incrimination de crime contre l'humanité, ce qui empêche les tribunaux français de juger les crimes syriens. Mais revu en mai 2023, revenant sur cette interprétation restrictive et permettant à deux affaires syriennes d'être poursuivies. 

Une affaire clé

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© Leslie Lumeh / New Narrative

Si la portée de cette compétence universelle a souvent été réduite et critiquée, la France a récemment, grâce à ce mécanisme exceptionnel,  rendu justice, là où elle ne l'avait jamais été faite. En effet, lors d'un procès historique, elle a jugé en compétence universelle un crime, qui pour la première fois, n’était pas lié au génocide rwandais [3]. Ce crime, commis par Kunti Kamara, le condamne à l'issue d'un procès qui dura 16 jours, à la réclusion à perpétuité, pour “acte de barbarie” pendant la première guerre civile au Libéria (1989-1996). Il est notamment condamné en sa qualité de commandant du groupe rebelle ULIMO, pour avoir laissé ses hommes commettre des actes de viol et d'esclavage sexuel sur des populations vulnérables.

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Quelques procès en compétence universelle concernant des violences sexuelles liées aux conflits

Plusieurs pays mobilisent particulièrement la compétence universelle et conduisent des procès sur ce fondement pour crimes internationaux commis notamment dans les zones de conflits. L'ONG TRIAL International produit chaque année un rapport recensant les affaires fondées sur la compétence universelle dans le monde. L’édition de 2022 fait un focus sur « La compétence universelle, un outil méconnu pour lutter contre les violences sexuelles liées aux conflits »[4]. D’après ce rapport, en 2021, sur 125 accusations de crimes internationaux, seules 17 concernaient les violences sexuelles liées aux conflits. Malgré une certaine évolution, ce chiffre reflète le fait que ces violences continuent de faire l'objet de peu de poursuites.

 

Voici quelques exemples (non exhaustifs) de procès basés sur la compétence universelle et incluant des charges de violences sexuelles en tant que crimes international, ou des condamnations pour de tels crimes.

ALLEMAGNE

  • Crimes commis en Syrie

 

Une affaire emblématique en compétence universelle est le procès dit « de Coblence », qui est le premier procès en Europe poursuivant des crimes de l’État syrien. Il vise des anciens officiers des renseignements du régime de Bachar el-Assad, accusés de crimes contre l'humanité. Le principal accusé, Anwar Raslan, chef des enquêtes de la branche 251 des services secrets, a été reconnu coupable [5] de 27 meurtres, de 4 000 cas de torture et de détention illégale aggravée, d’un cas de viol et de deux agressions sexuelles, constitutifs de crimes contre l’humanité. Il a été condamné à la prison à perpétuité. Cette condamnation est historique puisqu’il s’agit de la première au monde concernant les exactions du régime de Bachar el-Assad. Elle reconnaît et sanctionne également l’utilisation des violences sexuelles par les renseignements syriens, comme véritable outil de répression et de terreur. Le deuxième accusé de ce procès, Eyad al-Gharib, a aussi été reconnu coupable le 24 janvier 2021 de crimes contre l’humanité.

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© Thomas Lohnes, AFP (archives)

En outre, en janvier 2022 s’est ouvert un autre procès lié au régime syrien, comprenant également des accusations de violence sexuelle. Alaa Moussa, médecin au sein d'une prison militaire de Homs, est jugé devant le Tribunal régional de Francfort pour crimes contre l'humanité, pour la torture d'opposants au régime, le meurtre d'un détenu, et des actes de violence sexuelle [6]. Il est accusé « d’avoir aspergé d'alcool les parties génitales d'un adolescent dans la salle d'urgence de l'hôpital militaire de Homs, avant d'y mettre feu » .

  • Crimes contre la minorité Yézidie : 

 

Le 16 juin 2021, le tribunal régional supérieur de Düsseldorf a condamné “Sarah O”, ressortissante allemande membre du groupe Etat Islamique en Irak et au Levant pour crimes contre l'humanité commis contre les Yézidis [7]. Elle est notamment coupable de complicité de viol, d'esclavage et de violence religieuse et basée sur le genre, persécution en tant que crimes contre l'humanité, et a été condamnée à six ans et six mois de prison. Elle et son mari ont emprisonné et réduit en esclavage sept femmes yézidies, et elle “a aidé et encouragé son mari à commettre des violences sexuelles sur au moins deux d'entre elles”.

 

Le 30 novembre 2021, la Haute Cour régionale de Francfort a reconnu coupable Taha Al-Jumailly, djihadiste irakien de l’Etat Islamique, de génocide [8], de crime contre l’humanité, de crimes de guerre et de complicité de crimes de guerre, contre le groupe des Yezidis. Il a détenu avec sa femme une jeune fille de 5 ans yézidie et sa mère, achetées comme esclaves, ils les ont forcées à se convertir à l’Islam, et sont accusés d’avoir laissé mourir de soif la fillette yézidie. Bien que cette affaire ne concerne pas des crimes de violences sexuelles liées aux conflits, c’est la première condamnation par un tribunal d’un membre de l'État islamique pour le génocide perpétré contre la minorité yézidie. Cette décision est donc porteuse d’espoir pour de futures poursuites, y compris pour les crimes sexuels commis contre cette minorité.

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© FRANK RUMPENHORST / dpa-Pool / AFP

Le 21 juin 2023, le Tribunal régional supérieur de Coblence a reconnu “Nadine K”, ressortissante allemande, coupable de complicité de génocide, de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre. Elle a été condamnée à 9 ans et 3 mois de prison. Elle a, lors de la violente campagne de l’Etat Islamique visant à éradiquer la minorité yézidie en Irak et en Syrie, réduit en esclavage et abusé une jeune femme yézidie. L’accusée savait que son mari battait et violait régulièrement cette jeune femme et a choisi de ne pas intervenir alors qu'elle "aurait pu et dû". La Cour est convaincue que l’accusée a agi par conviction parce qu'elle “s'identifiait” à l'idéologie de l’Etat Islamique.

ITALIE

  • Crimes commis contre des migrants en Libye

Osmann Matammud, un ressortissant somalien et directeur du camp de détention de Bani Walid, a été condamné le 10 octobre 2017 par le tribunal de Milan pour divers crimes dont le viol, commis contre des migrants en Libye en 2015-2016 [9].

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© Fotogramma

SUÈDE

  • Crimes commis en Syrie 

La Suède est un pays pionnier en Europe concernant les poursuites des crimes commis en Syrie. Elle a tenu le premier procès pour crimes de guerre, ou encore a permis la première condamnation d’un soldat du régime. Une plainte déposée en février 2019 par des survivants de centres de détention du régime, vise 25 hauts-gradés des renseignements syriens. Les accusations comprennent notamment les crimes contre l'humanité, les crimes de guerre, la torture et les traitements dégradants, et le viol [10].

[Dernière mise à jour : Juin 2023]

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