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Définir les violences sexuelles liées aux conflits

Définition juridique

DÉFINITION JURIDIQUE 

Pour le Secrétaire Général des Nations Unies, l’expression “violences sexuelles liées aux conflits” recouvre des actes tels que le viol, l’esclavage sexuel, la prostitution forcée, la grossesse forcée, l’avortement forcé, la stérilisation forcée, le mariage forcé, ainsi que toute autre forme de violence sexuelle d’une gravité comparable, perpétrés contre des femmes, des hommes, des filles ou des garçons, et ayant un lien direct ou indirect avec un conflit” [1]. 


 

Si celles-ci sont sanctionnées en tant qu'éléments constitutifs de crimes internationaux par différents textes, elles ne sont pas définies de manière claire. WWoW a ainsi participé au travail de la société civile pour élaborer la Déclaration sur la violence sexuelle de Women's Initiatives for Gender Justice. La Déclaration a pour ambition de définir les violences sexuelles, et de fournir des indications sur ce qui rend un acte "sexuel" et sur quand un acte de nature sexuelle peut devenir un "acte de violence sexuelle".

[Dernière mise à jour : Janvier 2023]

Caractéristiques

CARACTÉRISTIQUES

 

Souvent regroupées sous l’appellation de « viol de guerre », les violences sexuelles dans les conflits sont une stratégie militaire ou politique à part entière. 

  • Elles sont définies, décidées et ordonnées en haut lieu au même titre qu’est décrété le bombardement d’un village, l’extermination d’un peuple, le gazage d’une communauté. Si le viol dans la guerre a toujours existé, le viol comme outil de guerre est lui, devenu endémique et quasi systématique dans les conflits contemporains. 

  • Le viol devient alors un outil utilisé pour humilier, détruire et prendre le pouvoir, employé aussi bien contre les femmes (RDC, Kenya, Bosnie, Rwanda) que les hommes (Libye, Ouganda, Ukraine, Tchétchénie) et les enfants (Syrie, RCA, RDC).

  • Ces violences sont commises selon des modus operandi qui diffèrent, selon le contexte et l’objectif dans lequel elles sont employées : les viols sont souvent collectifs, commis en public, ou devant la famille des victimes, avec ou sans l’utilisation d’instruments…

Elles diffèrent ainsi des violences sexuelles en temps de paix, de par : 

  • le contexte dans lequel elles ont lieu : conflit, climat de crise, effondrement de l’Etat, écroulement des institutions, routes migratoires …

  • le profil de l’auteur : souvent rattaché à un groupe armé, étatique ou non (ex FARC, Wagner, Boko Haram ou Etat Islamique)

  • le profil de la victime : ciblée pour son appartenance à une minorité politique, ethnique ou religieuse, son orientation sexuelle ou son identité de genre…

OBJECTIFS

Les violences sexuelles liées aux conflits ont  souvent pour but de terroriser les populations, briser les familles et le tissu social, détruire les communautés, et dans certains cas d'anéantir la composition ethnique d’un groupe d'individus. Elles peuvent aussi constituer un moyen délibérer de transmettre des maladies sexuellement transmissibles, telles que le VIH ; et conduire à la stérilité des femmes et des hommes.

 

Ainsi, comme l’organisation d’un attentat ou d’une attaque armée, les violences sexuelles liées aux conflits sont pensées et planifiées car elles permettent de répondre à des objectifs précis. Quelques exemples:

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Nettoyage et purification ethnique en Bosnie-Herzégovine, au Rwanda ou aujourd’hui à l’encontre du peuple Yézidi ou à l’encontre des minorités Rohingyas en Birmanie.

Outil de terreur et de torture en  Ukraine, Irak, Libye ou Syrie ou encore au Sud Soudan. Au Sahel, les violences sexuelles sont utilisées par les groupes armés (Mali, Burkina Faso, etc.) comme sur les routes migratoires où elles sont devenues systématiques. De plus, les gangs utilisent aussi la violence sexuelle comme outils de terreur. Les violences des gangs en Haiti ou dans certains pays d'Amérique latine sont marquées par des viols extrêmement violents, à l'encontre souvent de très jeunes filles mais aussi de garçons. Ces violences sont quasi systématiques.

Outil de répression politique visant particulièrement les opposants comme en Guinée-Conakry, au Sri Lanka, au Zimbabwe ou au Kenya ainsi qu'en Libye et Syrie. 

Les violences sexuelles sont largement utilisées dans les parcours d'exil. Les migrants se retrouvent "otages" des passeurs et le viol est souvent le prix à payer. Mais les violences sexuelles sont aussi commises par tous ceux qui détiennent l'autorité (gardiens, police, militaire, chefs de gangs etc.). Notamment, s'agissant des femmes qui représentent 51 % des migrants, 90 % d'entres elles ont subi des violences sexuelles. La traite des personnes en vue de prostitution forcée est aussi un phénomène accentué et motif de l'exil. Les personnes de la communauté LGBTQI+ sont particulièrement visées et vivent souvent une "double peine" car stigmatisées aussi au sein des migrants. Enfin, le passage en Libye est souvent l'objet d'innombrables violences y compris sexuelles.

Stratégie politique et économique en République Démocratique du Congo et en République Centrafricaine. Dans ces pays,  le viol sévit en masse dans les zones riches en mines de diamants ou de minerais précieux. L'utilisation des violences sexuelles a pour but de pousser les populations à l'exode afin de prendre le contrôle de ces ressources.  

Garantie de recrutement par l'Etat Islamique en Irak et au Levant ou par Boko Haram par exemple. En effet, pour ces organisations criminelles, la garantie d’avoir des relations sexuelles est un outil de recrutement important. Plus récemment au Soudan, le recrutement se faisait avec la garantie d’avoir « des femmes » souvent âgées d’à peine 10 ans.

Outil d'endoctrinement des soldats. Comme le prônait Abou Bakr al-Baghdadi - Chef de l’Etat Islamique - en octobre 2015, dans une lettre destinée à ses hommes : convertir à l’Islam par le viol. Daesh a fait du viol de guerre une arme suprême et à part entière de sa stratégie guerrière. Comme Boko Haram au Nigéria en ciblant les jeunes filles ; en enlevant celles se rendant à l'école, en les violant à répétition et les mariant de force aux membres de l'organisation terroriste. 

S’il est évident que les violences sexuelles liées aux conflits ont de tout temps existé, qu’elles constituent aussi un butin de guerre comme au temps de l'enlèvement des Sabines ou encore un outil de revanche du vainqueur comme cela a été le cas durant la seconde guerre mondiale, ce qui est nouveau depuis maintenant presque 30 ans, c’est leur institutionnalisation.

En ce sens, des exemples comme Boko Haram au Nigéria et dans le Sahel, ou Daesh en Irak et Syrie, démontrent que l'utilisation des violences sexuelles a purement et simplement été théorisée. Des manuels et guides sur l’esclavage sexuel sont développés, des marchés aux femmes mis en place avec grille tarifaire en fonction de l’âge, de la virginité, de la communauté dont est issue la victime… Ces groupes ont parfaitement intégré les violences sexuelles dans leur stratégie terroriste ; conscients de l’impact individuel et collectif d'un tel crime sur le long terme. Les violences sexuelles liées aux conflits sont donc devenues un outil et une arme terroriste. Elles sont d’ailleurs aujourd’hui intégrées dans les stratégies de lutte contre le terrorisme. Plus récemment en 2022 en Ukraine, l'État agresseur utilise la violence sexuelles comme outil de terreur. Des organisations non gouvernementales comme Wagner en font une arme quasi systématique. Les groupes armés dans la région du Sahel notamment, aussi. 

Objectifs

LA PRISE EN COMPTE PROGRESSIVE DES VIOLENCES SEXUELLES LIÉES AUX CONFLITS

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Pendant des siècles, la violence sexuelle en période de conflit a été jugée inévitable, assimilée à un dommage collatéral de la guerre. Le viol a aussi longtemps été vu par les armées comme un droit que s’octroient les vainqueurs sur le vaincu, et ce sans que celui-ci ne soit sanctionné. Par exemple, pendant la Seconde Guerre mondiale, les différentes parties au conflit ont commis des viols massifs (d’opportunisme, de vengeance, ou à objectif ethnique en Allemagne). Pourtant, les tribunaux militaires de Tokyo et Nuremberg, mis en place pour juger les crimes commis, ont été silencieux concernant les actes de violence sexuelle et n’ont prononcé aucune condamnation pour ces faits. Progressivement, ces violences sexuelles en temps de guerre se sont vues incriminées et sanctionnées par le droit international. La première grande étape de ce mouvement fut les quatre Conventions de Genève du 12 août 1949 [2], complétées par les Protocoles Additionnels de 1977 [3].

Image by Jonathan Ansel Moy de Vitry

C’est véritablement pendant les conflits au Rwanda et en ex-Yougoslavie fin des années 1990 que les violences sexuelles ont été prises en compte comme une question à part entière par la communauté internationale et les Nations Unies. En 1992, le Conseil de Sécurité des Nations Unies a condamné la “détention et le viol massifs, organisés et systématiques des femmes, notamment les femmes musulmanes, en Bosnie-Herzégovine” [4]. Par la suite, fut créé le Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), qui grâce à sa jurisprudence fournie sur les crimes sexuels, a été le premier à incriminer les actes de violences sexuelles liées aux conflits. Le Tribunal Pénal International pour le Rwanda a lui aussi contribué au développement de la jurisprudence sur ce crime, avant que d’autres juridictions internationales et que les justices nationales ne s’en emparent.

Pour plus d’informations : Les réponses judiciaires au crime de violences sexuelles liées aux conflits 

Le Conseil de Sécurité des Nations Unies s’est enfin saisi du sujet des violences sexuelles liées aux conflits au début des années 2000, et a développé un cadre juridique. La Résolution 1325 (2000) [5] établissant l’agenda Femmes, Paix et Sécurité, somme les parties à un conflit armé de prendre des mesures particulières pour protéger les femmes et les petites filles contre les actes de violence sexiste, en particulier le viol et les autres formes de sévices sexuels. Parallèlement, l'ONU a également lancé en 2007 la Campagne des Nations Unies contre la violence sexuelle en temps de conflit (ou UN Action), un réseau qui regroupe 21 entités des Nations Unies dans le but de coordonner les efforts entre institutions pour traiter le problème des violences sexuelles liées aux conflits [6].

Puis la Résolution 1820 (2008) est la première résolution consacrée aux violences sexuelles liées aux conflits. Elle énonce que celles-ci sont des obstacles au rétablissement de la paix et de la sécurité internationale, et déclare que la violence sexuelle est utilisée notamment comme arme de guerre. Elle formule également que les violences sexuelles en temps de conflit “peuvent constituer un crime de guerre, un crime contre l’humanité ou être un élément constitutif de crime de génocide[7]. Une autre série de Résolutions a également été adoptée sur ce thème les années suivantes [8], dont la Résolution 2467 (2019). De plus, en 2009 fut créé le Bureau de la Représentante spéciale du Secrétaire général chargée de la question des violences sexuelles commises en période de conflit. Chaque année, ce bureau produit un rapport actualisé sur le thème des Violences sexuelles liées aux conflits (voir le dernier rapport de juin 2023).

Ces dernières années, une attention croissante a été accordée aux crimes de violences sexuelles liées aux conflits, en témoigne également l’octroi du Prix Nobel de la Paix à deux figures de la lutte contre les violences sexuelles liées aux conflits. En effet, ce prix a été décerné en 2018 à Nadia Murad, survivante yezidie du génocide (et esclave sexuelle) par l’Etat Islamique et militante, et Denis Mukwege, chirurgien gynécologue, fondateur de l’hôpital de Panzi prenant en charge des victimes de violences sexuelles en République Démocratique du Congo.

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© Haakon Mosvold Larsen/AP/SIPA

RÉFÉRENCES

 

[1] Conseil de Sécurité des Nations Unies, Violences sexuelles liées aux conflits, Rapport du Secrétaire général, S/2021/312, 30 mars 2021, §5.

[2] Comité international de la Croix Rouge, Conventions de Genève du 12 août 1949, 1949. L’article 3 commun de ces conventions ne cite pas expressément le viol et les autres formes de violence sexuelle, mais interdit "les atteintes portées à la vie et à l’intégrité corporelle" ainsi que "les atteintes à la dignité des personnes". Convention (IV) de Genève de 1949, article 27 §2 : “Les femmes seront spécialement protégées contre toute atteinte à leur honneur, et notamment contre le viol, la contrainte à la prostitution et tout attentat à leur pudeur”.

[3] Comité international de la Croix Rouge, Protocoles additionnels aux Conventions de Genève de 1949, 1977. Notamment le Protocole additionnel (I), 1977, article 76 : “Les femmes doivent faire l’objet d’un respect particulier et seront protégées, notamment contre le viol, la contrainte à la prostitution et toute autre forme d’attentat à la pudeur.” Protocole additionnel (II) 1977, article 4 §2 : prohibe “les atteintes à la dignité de la personne, notamment les traitements humiliants et dégradants, le viol, la contrainte à la prostitution et tout attentat à la pudeur”.

[4] Conseil de Sécurité des Nations Unies, Résolution 798 (1992), S/RES/798(1992), 18 décembre 1992.

[5] Conseil de Sécurité des Nations Unies, Résolution 1325 (2000), S/RES/1325(2000), 31 octobre 2000, §10.

[6] Bureau de la Représentante Spéciale du Secrétaire Général chargée de la question des violences sexuelles commises en période de conflit, Campagne de l’ONU contre la violence sexuelle en temps de conflit.

[7] Conseil de Sécurité des Nations Unies, Résolution 1820 (2008), S/RES/1820(2008), 19 juin 2008, §4.

 

[8] Notamment : Résolution 1888 (2009), Résolution 1889 (2009), Résolution 1960 (2010), Résolution 2106 (2013), Résolution 2122 (2013), Résolution 2242  (2015)Résolution 2467 (2019).

Prise en compte progressive
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