Les réponses judiciaires en matière de violences sexuelles liées aux conflits
LA JUSTICE INTERNATIONALE
Une incrimination progressive des violences sexuelles liées aux conflits
LES TRIBUNAUX PÉNAUX INTERNATIONAUX
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Le Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) :
Ce tribunal a joué un grand rôle dans l’incrimination des violences sexuelles commises en période de conflit. Son statut a inclus le viol parmi les crimes contre l’humanité lorsqu’il est commis dans un conflit armé et dirigé contre une population civile [1].
Il a mené le premier procès consacré exclusivement à des sévices sexuels (TPIY, Furundzija, 1998), et a été le premier tribunal international à qualifier les viols de crimes contre l’humanité (TPIY, Kunarac et consorts, 2002, qui concernait des « camps de viols » à Foca en Bosnie) [2]. Il a développé une jurisprudence fournie incriminant les violences sexuelles. Plus d’un tiers des personnes condamnées par le TPIY ont été déclarées coupables pour des crimes impliquant des violences sexuelles [3].
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Le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR) :
Le TPIR a également intégré le viol dans ses statuts. En 2001, il est devenu le premier, et le seul à ce jour, tribunal international à considérer des actes de violences sexuelles comme éléments constitutifs du crime de génocide, dans le jugement de Jean-Paul Akayesu [4]. En effet, les viols avaient été commis dans l’intention de détruire le groupe ethnique Tutsi. Le tribunal a aussi défini le viol, crime dont il n'existe aucune définition couramment acceptée en droit international [5]. Ce jugement constitue un précédent historique pour la justice pénale internationale, et la sanction des violences sexuelles liées aux conflits.
LA COUR PÉNALE INTERNATIONALE
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La Cour Pénale Internationale (CPI) :
Le Statut de Rome de la CPI en vigueur depuis juillet 2002, sanctionne expressément les crimes de violence sexuelle. Il propose une définition de ce crime, rattachée aux crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Ces violences comprennent « le viol, l’esclavage sexuel, la prostitution forcée, la grossesse forcée, la stérilisation forcée ou toute autre forme de violence sexuelle d’une gravité comparable » [6].
Elles peuvent constituer :
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un crime de guerre, lorsqu'elles sont commises dans le cadre d’un conflit armé, et en lien avec ce conflit.
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un crime contre l’humanité, lorsqu'elles sont commises dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique, visant une population civile.
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un génocide, lorsqu’elles sont commises dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux.
[Dernière mise à jour : Juin 2023]
Quelques affaires clés
En 2016, le congolais Jean-Pierre Bemba est déclaré coupable par la Cour Pénale Internationale (CPI) de crimes contre l’humanité et crimes de guerre, notamment pour les viols commis en République Centrafricaine par les forces armées qu’il contrôlait (les troupes du Mouvement de libération du Congo, le MLC) [7]. Bemba a été condamné en sa qualité de chef militaire, et non pas d’auteur direct des viols. Il s’agit de la première condamnation de la CPI pour utilisation de violences sexuelles comme crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Cependant, lors de son procès en appel en 2018, Bemba a été acquitté, en raison d’erreurs qui ont affecté la décision de première instance et car les juges ont finalement considéré qu’il ne pouvait être tenu pénalement responsable en tant que chef militaire pour les crimes commis par les troupes du MLC [8].
© Photo CPI
Il a fallu attendre 2019, pour que la CPI condamne le congolais Bosco Ntaganda notamment pour des chefs de viols et d’esclavage sexuel, qualifiés de crimes de guerre et crimes contre l’humanité [9]. Cette décision a été confirmée en appel en 2021 [10], et est donc désormais définitive. Ntaganda a ainsi été condamné à 30 ans d’emprisonnement et est la première personne condamnée définitivement par la CPI pour des faits de violence sexuelle.
© Photo CPI
Récemment, en 2021, le chef de guerre ougandais Dominic Ongwen a également été condamné pour de nombreux crimes sexuels, dont le mariage forcé, la torture, le viol, l’esclavage sexuel, la réduction en esclavage, la grossesse forcée et l’atteinte à la dignité de la personne. Il a été condamné à 25 ans d’emprisonnement [11]. Cette condamnation a été confirmée en appel le 15 décembre 2022, il s'agit donc de la deuxième condamnation définitive de la CPI pour des crimes sexuels et sexistes.
© Photo CPI
LES JURIDICTIONS HYBRIDES
Les tribunaux mixtes et hybrides sont des juridictions nationales, qui permettent de juger les crimes internationaux en se référant au droit interne de l’État concerné [12] mais qui mêlent aussi des éléments de juridictions internationales, de par leur personnel, leur fonctionnement et les catégories de crimes visés [13]. Ils sont généralement créés sous les auspices d’organisations internationales telles que l’ONU. Ces juridictions sont mises en place dans des pays ayant traversé des crises ou conflits, pour juger les responsables de violations du droit international, lorsque le système judiciaire du pays est dans l'incapacité de le faire.
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Le Tribunal Spécial pour la Sierra Léone
Le Tribunal spécial pour la Sierra Leone fut créé suite à un accord entre les Nations Unies et le gouvernement sierra léonais afin de juger les crimes commis durant la guerre civile de Sierra Leone de 1991 à 2002. Il a notamment rendu des jugements en juin 2007 et en février 2009 condamnant l’esclavage sexuel en tant que crime de guerre, les viols en tant que crime contre l’humanité et la pratique des mariages forcés commis par les troupes de l’Armed Forces Revolutionary Council (AFRC) et du Revolutionary United Front (RUF).
Charles Taylor le 30 mai 2012.
(Photo United Photos. Reuters)
En avril 2012, il a rendu la première condamnation historique contre un chef d’Etat, l’ancien président du Libéria, Charles Taylor [14]. Celui-ci a été reconnu coupable d’avoir aidé et encouragé les viols et l’esclavage sexuel de filles et de femmes, crimes contre l’humanité et crimes de guerre, commis pendant le conflit sierra léonais par les membres de l’Armed Forces Revolutionary Council (AFRC) et du Revolutionary United Front (RUF). La jurisprudence de ce tribunal est l'une des plus riches en matière de violences sexuelles.
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Les Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens
Ces chambres furent mises en place en 2003 avec l'aide des Nations Unies pour juger les crimes commis sous le régime des Khmers Rouges. L’un des dossiers (le deuxième procès du “dossier 002”) traite notamment de violences sexuelles dont seraient responsables d’anciens dirigeants khmers rouges, Nuon Chea et Khieu Samphan.
Une affaire clé
Une affaire clé
En novembre 2018, les accusés ont été reconnus coupables de génocide, de crimes de guerre, mais aussi de crimes contre l’humanité, notamment des mariages forcés et viols commis dans le contexte de ces mariages forcés [15]. Ce procès reconnait ainsi pour la première fois ces crimes, commis dans le cadre de la mise en œuvre de la politique nationale de réglementation du mariage [16]. En effet, de nombreux couples ont été forcés de se marier et par la suite "d’avoir des rapports sexuels avec leur nouveau conjoint" [17].
Nuon Chea et Khieu Samphan le 18 juillet 2012 (Photos CECT)
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La Cour Pénale Spéciale de la République Centrafricaine
La République Centrafricaine s’est dotée d’un organe juridictionnel spécialisé, la Cour pénale spéciale, créée en 2015, afin d’engager des poursuites dans des cas de “violations graves des droits humains et violations graves du droit international humanitaire”, commises sur le territoire depuis le 1er janvier 2003. Les crimes de violence sexuelle commis depuis cette date pourront donc être poursuivis, et occupent même une place importante dans la “Stratégie d’enquête, de poursuites et d’instruction” [18].
RÉFÉRENCES
[1] Nations Unies, Statut actualisé du Tribunal Pénal International pour L’ex-Yougoslavie, Septembre 2009, Article 5.
[2] TPIY, Crimes sexuels - Les affaires clés
[3] TPIY, Les crimes sexuels
[4] TPIR, Chambre de première instance I, Le Procureur c. Jean Paul Akayesu, Affaire n° ICTR-96-4-T, Jugement, 2 septembre 1998.
[5] TPIR, Communiqué de presse, UNE PREMIERE DANS L'HISTOIRE : AKAYESU RECONNU COUPABLE DE GENOCIDE PAR LE TRIBUNAL CRIMINEL INTERNATIONAL POUR LE RWANDA, 3 septembre 1998.
[6] Statut de Rome, Article 7-1-g) pour les crimes contre l’humanité, et Article 8-2-b-xxii) et Article 8-2-e-vi) pour les crimes de guerre.
[7] Chambre de première instance III, Situation en République centrafricaine, Affaire Le Procureur c. Jean-Pierre Bemba Gombo, Jugement rendu en application de l’article 74 du Statut, ICC-01/05-01/08-3343, 21 mars 2016.
[8] CPI, Fiche d’information Situation en République centrafricaine, Le Procureur c. Jean-Pierre Bemba Gombo, ICC-01/05-01/08 [Mise à jour Août 2021]. Voir également le Jugement en appel complet : Chambre d’appel, Arrêt relatif à l’appel interjeté par Jean-Pierre Bemba Gombo contre le Jugement rendu en application de l’article 74 du Statut par la Chambre de première instance III, ICC-01/05-01/08-3343, 8 juin 2018.
[9] Chambre de première instance IV, Situation en République Démocratique du Congo, Affaire le Procureur c. Bosco Ntaganda, Jugement, 8 juillet 2019.
[10] CPI, Communiqué de presse “Affaire Ntaganda : la Chambre d'appel de la CPI confirme la condamnation et la peine”, 30 mars 2021.
[11] CPI, Fiche d’information Situation en Ouganda, Le Procureur c. Dominic Ongwen, ICC-02/04-01/15 [Mise à jour août 2021]
[12] Ministère des Affaires Etrangères, Les juridictions hybrides, [Dernière consultation le 31 janvier 2022]
[13] Vie publique, Fiche Thématique Qu’est-ce qu’un tribunal international spécial ?, 27 août 2019
[14] Human Rights Watch, Sierra Leone : La condamnation de l’ex-président libérien Charles Taylor est un pas historique, 26 avril 2012.
[15] Chambres Extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens, Résumé du Jugement rendu par la Chambre de première instance dans le cadre du Dossier 002/02, 16 novembre 2018.
[16] FIDH, Cambodge : Dans un verdict historique, le tribunal jugeant les Khmers rouges reconnaît les mariages forcés comme crimes contre l’humanité et condamne d’anciens dirigeants khmer rouges pour génocide, 19 novembre 2018.
[17] Chambres Extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens, Résumé du Jugement rendu par la Chambre de première instance dans le cadre du Dossier 002/02, 16 novembre 2018, paragraphe 40.
[18] Cour Pénale Spéciale de la République Centrafricaine, Stratégie d'enquête, de poursuites et d'instructions, 10 février 2020, paragraphe 57.
[19] Cour Pénale Spéciale de la République Centrafricaine, Communiqué de presse relatif à la décision de la chambre d'accusation dans l'affaire des tueries de Koundjili et Lemouna, Communiqué de presse CPS n°171221, 20 décembre 2021.
[20] Justince info. Centrafrique : le premier jugement de la Cour pénale spéciale. 1er novembre 2022
[21] TRIAL International, Hissene Habre, 27 juillet 2020.