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Les réponses judiciaires en matière de violences sexuelles liées aux conflits

Quelques exemples

LA JUSTICE NATIONALE
Une mobilisation croissante de la justice nationale en matière de violences sexuelles liées aux conflits 

À la suite des résolutions des Nations Unies et de la jurisprudence des juridictions internationales, les autorités nationales des pays dans lesquels se déroulent les violences sexuelles se sont aussi emparées de cette question. Elles font face à de nombreux défis pour juger ces crimes, en raison de la désorganisation ou de l'écroulement des institutions (propre au contexte de conflit ou post conflit), ou à cause du manque de volonté politique. Pourtant, la responsabilité de poursuivre les crimes internationaux incombe en premier lieu aux États, les juridictions internationales dont la Cour Pénale Internationale n’agissant qu’en dernier ressort, selon le principe de complémentarité. 

 

Certains des Etats concernés par l’utilisation du viol comme arme de guerre ont alors témoigné de leur volonté de punir ces crimes. L’efficacité de la réponse judiciaire peut alors se mesurer à la qualification juridique adéquate des violences, à l’existence et l’application en pratique de lois incriminant ces violences, au nombre de poursuites et de condamnations sur ces fondements, ou encore au niveau de formation du personnel judiciaire chargé d’enquêter et de poursuivre ces crimes.

[Dernière mise à jour : Juin 2023]

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Quelques exemples nationaux 

© IFEX

COLOMBIE

À la suite du conflit armé intérieur, impliquant les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), la Colombie a pris des engagements exemplaires et développé un cadre normatif solide pour sanctionner les violences sexuelles liées à ce conflit, ce qui fut même salué par le Secrétaire Général des Nations Unies en 2017 [1].

  • En 2014, adoption d'une loi qualifiant de « crimes contre l'humanité » les violences sexuelles commises dans le cadre du conflit : le texte renforce aussi le statut des survivantes de violences sexuelles, leur permettant de recevoir des réparations, un soutien psychosocial et des soins médicaux gratuits. De plus, le gouvernement colombien a pris une mesure symbolique pour les victimes, en consacrant le 25 mai “Journée nationale pour la dignité des femmes victimes de violences sexuelles causées par le conflit armé interne” [2].

 

  • Pris en compte de cette question dans l’accord de paix conclu avec les FARC en 2016 : il comprend de nombreuses dispositions relatives au genre, et inclut les violences sexuelles dans les crimes non éligibles à l'amnistie. Des survivantes de violences sexuelles ont également pu participer directement aux pourparlers, puisque invitées par la sous-commission sur le genre [3]. Cependant, la mise en œuvre des principales dispositions clés, y compris celles relatives à l'égalité des sexes, reste aujourd’hui inégale.

 

  • Autres mesures prises par le gouvernement : En 2021, le Secrétaire général de l’ONU note la formation de plus de 20 000 professionnels de la santé à l’application du protocole relatif à la gamme complète de soins de santé destinés aux victimes de ce type de violences ; ou la publication par le président colombien de directives sur le renforcement de l'égalité des genres dans les forces de sécurité, dans le but d'améliorer leur efficacité et réactivité face aux violences sexuelles et sexistes[4].

 

  • Nombre d’affaires et de procès pour violences sexuelles : d’après le rapport du Secrétaire général de l’ONU en 2021, “des 132 affaires de violences sexuelles liées aux conflits dont le Bureau du Procureur général était saisi, 6 ont été renvoyées en jugement, 4 sont en cours d’instruction, 1 est encore en phase d’enquête préliminaire et 121 en sont au stade de l’enquête initiale”. Selon des ONG, le niveau d’impunité resterait de 90% sur les dossiers de violence sexuelle dans le système de justice pénale et de 75% dans les chambres spécialisées pour les crimes commis par les paramilitaires [5].

 

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©Justince Info

Soutien de la Cour Pénale Internationale au modèle de justice colombien : le 28 octobre 2021, la CPI a décidé de clore l'examen préliminaire sur la Colombie [7], ouvert il y a 17 ans. En effet, selon le principe de complémentarité qui régit la CPI, si l'Etat lui même est en capacité de juger les crimes, cette cour n’a pas à intervenir. Ici, en arrêtant la procédure engagée concernant la Colombie, la CPI considère que l’Etat colombien, de par son système de justice transitionnelle, remplit ses obligations internationales d’enquêter, juger et sanctionner les crimes faisant l'objet de l'examen, et entérine donc ce modèle.

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©Justice Info

ARGENTINE

En 2010 a été rendue la première condamnation pour viol, d'un ancien sous-officier de l'Armée de l'Air, par le Tribunal oral criminel de Mar del Plata dans l’affaire Molina, visibilisant alors les crimes de violences sexuelles commis durant la dictature. Auparavant traitées sous la qualification d’actes de torture, cette prise en compte des violences sexuelles a permis de soulever leur caractère systémique, et pour les tribunaux, de considérer que "les crimes sexuels commis dans le cadre du terrorisme d'État constituent des crimes autonomes qui, en tant que tels, doivent faire l'objet d'une enquête et d'un jugement, et qu'ils sont des crimes contre l'humanité”[8].

Ainsi, depuis 2012, le Bureau du procureur pour les crimes contre l’humanité poursuit les crimes sexuels commis pendant la dictature. Une condamnation historique a été rendue le 13 août 2021, contre deux anciens militaires pour “viols aggravés” [9] sur trois femmes dans un centre de torture de Buenos Aires (l’ESMA) pendant la dictature argentine. Ce procès s’est consacré spécifiquement aux agressions sexuelles et viols, qualifiés de crimes contre l’humanité [10], et ces actes furent jugés séparément des autres crimes de torture et d’enlèvement.

De plus, jusqu’en mars 2020, “31 arrêts ont sanctionné 103 responsables des crimes sexuels commis pendant la dictature”[11].

LIBYE 

Outre les procédures strictement judiciaires, d'autres mesures peuvent participer au sentiment de justice pour les victimes. Par exemple, en 2014, le gouvernement libyen a témoigné de sa volonté de prendre en compte les viols en adoptant [12] un décret reconnaissant les viols massifs en Libye, et créant le statut de victime de guerre pour les victimes de viols durant la révolution de 2011. Il met en place un système de réparation, impliquant des aides financières, médicales, sociales pour favoriser la réinsertion. Si cette mesure constitue une bonne pratique et permet d'une certaine manière de rendre justice à ces victimes, en réalité, ce décret n'est pas appliqué, et les violences sexuelles se perpétuent jusqu’à aujourd’hui. Elles restent employées comme outil de vengeance entre tribus mais aussi comme instrument de conquête du territoire et du pouvoir par les milices libyennes.  Face à ce statu quo, en mai 2023 le procureur de la Cour Pénale Internationale a annoncé de nouvelles poursuites et un travail renforcé avec le ministère de la justice libyen, la société civile et les associations de victimes. 

UKRAINE

Le 24 février 2022, la Fédération de Russie a agressé le territoire Ukrainien. Depuis, le conflit fait rage et nombre de crimes de guerre et crimes contre l'humanité ont déjà été documentés. En mai 2023, le parquet ukrainien a ouvert 175 dossiers liés aux violences sexuelles commises sur le territoire ukrainien depuis le début du conflit. C'est sans aucun doute bien en deçà de la réalité car nombre de victimes ne sont pas identifiées et surtout beaucoup d'entre elles, ne souhaitent pas pour le moment le faire par manque de sécurité. Les tribunaux nationaux ukrainiens ont les compétences pour juger ces crimes de violences sexuelles, y compris in abstentia i.e. en l'absence des accusés dans la salle d'audience. 

RÉFÉRENCES

[1] Nations Unies,Rapport du Secrétaire général sur les violences sexuelles liées aux conflits, III, S/2017/249, avril 2017. 

[2] IFEX, Tzabiras, M. Pour les survivants de la violence sexuelle en Colombie : pas de silence ni d’impunité, 4 juin 2019. 

[3] Apolitical, L’accord de paix de la Colombie est le premier au monde à avoir le genre au cœur, 12 janvier 2018.

[4] Nations Unies, Rapport du Secrétaire général sur les violences sexuelles liées aux conflits, III, S/2021/312, mars 2021

[5] Justince Info, LA CPI ENTÉRINE LE MODÈLE DE JUSTICE TRANSITIONNELLE DE LA COLOMBIE, novembre 2021

[6] Justice Info, LES VIOLENCES SEXUELLES, NOUVEAU PUNCHING-BALL DE LA TRANSITION COLOMBIENNE (2ÈME PARTIE), 2 septembre 2019

[7] Justice Info, LA CPI ENTÉRINE LE MODÈLE DE JUSTICE TRANSITIONNELLE DE LA COLOMBIE, 9 novembre 2021

[8] MINISTERIO PUBLICO, La violencia sexual en la jurisprudencia nacional. Causa Nº 960/11 caratulada "Aliendro, Juana Agustina y otros s/ desaparición forzada de personas, violación de domicilio, privación ilegítima de la libertad, tormentos, etc. Imputados: Musa Azar y otros”, del registro del Tribunal
Oral en lo Criminal Federal de Santiago del Estero, 5 de marzo de 2013, pp. 12 et suiv.

[9] Le Monde, Argentine : deux ex-militaires condamnés pour viols aggravés de prisonnières politiques pendant la dictature, 14 aout 2021.

[10] Buenos Aire Times. Grainger, J. Court sentences duo to more than 20 years in jail for rape of prisoners at ESMA, 14 aout 2014.

 

[11] Le Blog du Droit international, Symposium – Violence sexuelle : Réflexions sur certaines difficultés rencontrées dans la poursuite nationale des violences sexuelles constitutives de crimes internationaux, 21 avril 

[12] Le Monde, La Libye reconnaît comme « victimes de guerre » les femmes violée, 20 février 2014

LA JUSTICE INTERNATIONALE

LA COMPÉTENCE UNIVERSELLE

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