Notre analyse
Les situations de conflit et l’absence d’État de droit créent une situation dans laquelle l’insécurité et donc l’impunité prévalent. C’est dans ce contexte que le viol devient un enjeu de crime de masse, il est donc nécessaire de travailler aussi à titre préventif. Les violences sexuelles ne peuvent pas être approchées sans inclure les questions d'État de droit, de bonne gouvernance , de sécurité etc.
Ayant peu voire pas accès ni à la justice ni aux soins, le stigma et le trauma que le viol génère ne peuvent être soignés immédiatement comme il le devrait. Les victimes se terrent alors dans le silence, les preuves disparaissent et ce crime devient un crime parfait, impossible à prouver. Une sorte de silence collectif couplé au tabou lié aux violences sexuelles privent les victimes de voix et de réponse face aux crimes commis.
Plus de 90 % des victimes de viols le sont dans des zones inaccessibles. Au pire, elles ne sont jamais identifiées ; au mieux, elles sont identifiées et localisées mais plusieurs semaines voire plusieurs mois après la commission du crime.
Les conséquences des violences sexuelles liées aux conflits
Insidieux, à moindre coût, avec des répercussions visibles sur le très long terme, protégé par l’impunité qui demeure reine dans ce domaine : le viol de guerre constitue le crime parfait.
Les violences sexuelles liées aux conflits ont des conséquences diverses, dont en premier lieu des conséquences individuelles pour chaque victime :
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Conséquences physiques : complications gynécologiques (d’autant plus que les victimes sont rarement prises en charge rapidement après l’agression), MST/IST, grossesses non désirées et à risque, modification du rapport au corps et à la sexualité…
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Conséquences psychologiques : traumatisme, baisse de l’estime de soi, sentiment de honte et culpabilité, voire troubles de stress post traumatique (qui se caractérise par des reviviscences régulières des scènes de traumatisme, des "manifestations physiques liées à l’émotion extrême ressentie", et altérant de façon significative la vie personnelle, sociale et/ou professionnelle).
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Conséquences sociales : stigmatisation, dans certaines communautés, exclusion des victimes de leur famille ou de leur communauté, femmes répudiées par leur mari… Toutes ces répercussions, liées au tabou entourant le viol, encouragent encore davantage le silence des victimes sur ces crimes.
Mais les violences sexuelles sont d’autant plus dévastatrices qu’elles ont un certain nombre de répercussions au niveau collectif :
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Délitement du tissu social et destruction de la communauté : le viol outil de guerre entraîne la destruction de la victime et par ricochet, celle de sa famille, de son groupe d’appartenance et de sa communauté.
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Instauration d’un climat d’impunité : un faible pourcentage de poursuites judiciaires sont engagées par rapport au nombre réel de violences commises, ou celles-ci ne vont pas à leur terme (en raison de la difficulté pour les victimes de signaler ces violences, du manque de preuves, du contexte de conflit ou post conflit ou encore de l’absence de volonté de poursuivre ces crimes), alimentant un sentiment et un climat d’impunité.
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Instauration d’une culture du viol : s’ils ne sont pas adressés et poursuivis, la violence continue de s’amplifier, une culture du viol s’installe dans les pays où le viol de guerre a eu lieu, bien longtemps après la fin des conflits. Témoins des viols, qui ont souvent lieu en public ou devant les membres de la famille, les enfants et les jeunes adultes intègrent cette notion comme une norme. Ceci plante des graines pour un terreau fertile de violences qui continuent d’opérer et que le Dr Mukwege appelle « la métastase du viol de guerre ».
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Destruction de l’équilibre même d’une société : menant à l’exclusion et au rejet des victimes, la paupérisation, la stigmatisation des enfants nés des viols, l’escalade de la violence, la fragilisation de l’économie de la collectivité, du pays concerné, etc.
C'est une arme à déflagration multiple qui est à l’origine de toute une série de conséquences à différentes échelles.
Les réponses apportées
Afin d’enrayer cette arme, la réponse à apporter doit être multi-sectorielle et holistique :
– Sur le plan médical : les victimes doivent pouvoir bénéficier de soins médicaux généraux, mais parfois aussi de chirurgies réparatrices. La réponse médicale est également indissociable d’un accompagnement psychologique voire psychiatrique pour répondre au trauma des victimes.
– Sur le plan juridique : un travail d’enquête rigoureux et impartial doit être mis en place. Il s’agit ici de collecter des témoignages et des données pour pouvoir par la suite entamer des procédures juridiques. Dès lors, il est indispensable de former des professionnels (avocats, juristes, forces de l’ordre…) à des méthodes d’enquête et d’écoute des victimes précises et efficaces.
De plus, plusieurs voies judiciaires sont ouvertes pour les victimes : elles peuvent recourir à la justice nationale, de chaque pays, à la justice pénale internationale (tribunaux pénaux internationaux, juridictions hybrides, CPI), ou aux tribunaux étrangers selon le principe de la compétence universelle.
– Sur le plan analytique : il convient de comprendre dans quel cadre ont lieu les violences sexuelles. L’analyse des situations politiques, économiques et sociales – mais parfois aussi du tissu ethnique, religieux ou tribal – est alors essentielle. C’est aussi une analyse géostratégique qu’il faut mener, en termes de compréhension des relations internationales et des conflits.
– Sur le plan de la réhabilitation : parce qu’il faut voir plus loin, parce que la vie des victimes ne s’arrête pas et qu’il faut savoir comment les accompagner. Il est crucial de ne pas enfermer ces personnes dans leur statut de victime. Au cœur de la réponse, l’empowerment des victimes : celles-ci doivent être actrices de leur réhabilitation. Accompagner les victimes dans leur projet professionnel peut permettre d’aboutir à leur réhabilitation sociale et économique au sein de leur communauté. Cette réhabilitation doit aussi concernée les auteurs de viols, à travers un travail d’accompagnement et un suivi psychologique.
Depuis quelques années, l’utilisation du viol de guerre a attiré l’attention de la communauté internationale. Hommes et femmes politiques, personnes publiques et organisations internationales ont commencé à reconnaître que les violences sexuelles dans les conflits étaient un problème concernant l’humanité dans son ensemble.
Si les violences sexuelles liées aux conflits ont été visibilisées ces dernières années, des solutions efficaces pour lutter contre ce fléau n’ont pas été suffisamment mises en place, et sur le terrain, trop peu de changements ont été observés.
WWoW impacte au niveau global en pointant les problèmes structurels liés au viol de guerre et en s’appuyant sur les organisations et les communautés locales. Son objectif est d’apporter une réponse globale par une approche locale en s’appuyant sur les souhaits et besoins des survivantes et survivants.
Le viol comme arme de guerre dans le monde
Aucun chiffre à ce jour ne peut être considéré comme fiable car aucune étude complète n’a encore été conduite.
Exemples de pays où se déroulent les violences sexuelles liées aux conflits
À Nankin en Chine en 1937, au Bangladesh en 1971, au Guatemala, au Rwanda en 1994, en Sierra Léone, et en Bosnie-Herzégovine, au Kenya et au Zimbabwe en 2008 lors des élections, en Guinée, et en RDC et au Soudan, en Libye, en Algérie, en Syrie, en République Centre Africaine, au Sri Lanka ou encore au Nigéria avec Boko Haram, en Irak, en Birmanie à l’encontre des Rohingyas, en Colombie, au Chili, en Argentine ou encore au Soudan et en Ukraine en 2014, 2022 et 2023...
Ce ne sont que quelques exemples de pays dans lesquels ont eu lieu des violences sexuelles liées aux conflits. Il n'existe pas de chiffres fiables sur le nombre de victimes concernées, les chiffres existants doivent être multipliés par 3 voire 10 pour correspondre à la réalité. WWoW demande des ressources pour mener cette étude mondiale.
Pour plus d'informations : voir notre carte interactive sur les violences sexuelles liées aux conflits depuis le XXè siècle
Où en est-on aujourd'hui ?
Malgré l’ampleur du phénomène et bien que les institutions pénales internationales comme le Tribunal Pénal International pour le Rwanda, celui pour l’Ex-Yougoslavie et plus récemment la Cour Pénale Internationale aient établi que le viol est un élément constitutif de crime de guerre, de crime contre l’humanité et de génocide, encore trop peu de procès sont instruits. La raison principale ? La difficulté de recueillir les preuves (témoignages de victimes, preuves d’ordres donnés à haut niveau), mais aussi et surtout, le manque de réponses pragmatiques et efficaces.
Par ailleurs, encore trop peu de choses sont entreprises dans la prise en charge des victimes : il est nécessaire de considérer la singularité du trauma engendré, les soutenir avec des actions simples, ciblées et positives, leur permettre de sortir de leur position de victime et d’opérer la résilience dont elles ont besoin pour retrouver leur place dans leur société.
Différentes ONGs se sont attaquées aux violences sexuelles en temps de conflit : Human Rights Watch, Amnesty International, la FIDH, TRIAL International, CIVITAS MAXIMAS, REDRESS et bien d’autres encore. Elles travaillent d’une part à sensibiliser la communauté internationale et la société civile à ce sujet, et d’autre part à la prise en charge des victimes et aux poursuites judiciaires des agresseurs… Néanmoins, si ces ONG ont identifié cet enjeu brûlant, aucun pôle fédérateur d’expertise et d’actions entièrement consacré au viol de guerre n’existe à ce jour.
A travers le développement de l’outil BackUp, WWoW entend apporter une réponse globale, créer un réseau solide et fournir des outils adéquats aux victimes et aux professionnels. En effet, Back Up permettrait d’une part, de fédérer les acteurs professionnels impliqués sur ces questions ; d’autre part de sauvegarder les éléments de preuves et permettre aux survivants et aux communautés de combattre elles-mêmes ce fléau dont elles sont les victimes et surtout de leur donner une voix.