WWoW a initié depuis novembre 2023, une première phase pilote de son outil Backup afin de lutter contre les violences sexuelles liées au conflit dans le nord-est du Nigéria.
CONTEXTE
Le Nigéria, État fédéral situé dans le golfe de Guinée, est le pays le plus peuplé d’Afrique et la première puissance économique du continent. Pourtant, ce géant d’Afrique est en proie à l’instabilité depuis le début des années 2000 et l’arrivée de groupes armés sur le territoire.
Une région est particulièrement touchée, le Nord-Est du Nigeria. L’État du Borno, le plus éloigné du centre du pouvoir, Abuja, subit depuis 2009, l'insurrection du groupe armé Boko Haram et de ses factions. Aujourd’hui, plusieurs groupes armés sévissent dans la région et l’État du Borno connaît une grave crise humanitaire.
Ce conflit a fait plus de 40 000 morts [1] et plus de 2,5 millions de déplacés dans la région. Les civils sont particulièrement touchés par les combats opposant l’armée régulière et les milices insurrectionnelles. Comme trop souvent, les femmes et les enfants sont devenues des victimes directes de ces combats.
Toutes les parties prenantes au conflit ont commis des exactions à l’encontre des civils, et comme dans beaucoups de conflits, les violences sexuelles ont été utilisées comme une arme de terreur. Ces violences sexuelles sont utilisées partout, tout le temps, que ce soit dans les camps de Boko Haram, dans les camps de réfugiés, dans les prisons, dans les villages. Les violences sexuelles sont utilisées pour terroriser les populations civiles, mais aussi à des fins politiques ; les femmes et les filles, kidnappées par le groupe de Boko Haram sont exploitées sexuellement dans les camps, mais également promises aux combattants méritants, en tant que “récompense” [2] ; les forces militaires nigérianes profitent, elles, des difficultés rencontrées par ces femmes pour commettre des violences sexuelles, sous forme de chantage sexuel [3].
Si les femmes et les filles sont les principales victimes de ces violences, les hommes le sont également. Il est important de rappeler que la stigmatisation pour les hommes victimes de violences sexuelles est encore plus marquée. Aujourd’hui, il est quasiment impossible de chiffrer le nombre d'hommes victimes de ces violences dans la région.
Ce conflit est assez peu présent sur la scène médiatique internationale, à l’exception d’événements marquants comme l’enlèvement des filles de Chibok en avril 2014. Pourtant, les victimes continuent d’affluer en silence. Les survivantes et survivants de violences sexuelles ne sont que très peu pris en charge au Nigéria pour plusieurs raisons : forte stigmatisation de la société bornouane, manque de confiance envers le système judiciaire et sécuritaire des forces gouvernementales, etc. Par ailleurs, malgré le travail de recensement de certaines organisations, comme Grassroots Researchers Association, les auteurs ne sont presque jamais jugés et les crimes restent impunis.
Si des organisations internationales et nationales, tentent de recenser les victimes et les exactions commises dans l’État de Borno, ces démarches se font de manière isolée et le suivi et la prise en charge des survivantes et survivants n’est pas garanti, ce qui crée des attentes inassouvies chez beaucoup de victimes.
LE PROJET
En juin 2023, WWoW a remporté en consortium avec Bibliothèques Sans Frontières, l’appel à projet “Innovation Humanitaire” du Centre de Crise et de Soutien (CDCS), du Ministère des Affaires Etrangères et de l’Europe (MEAE). BSF et WWoW ont décidé de s’associer afin de travailler ensemble autour d’un axe commun à savoir le développement de technologies et de contenus contextualisés online et offline pour prévenir et combattre les violences sexuelles liées aux conflits et aux crises, en s’appuyant sur la société civile et les communautés locales. Le projet a débuté le 1er novembre 2023 pour une durée de 18 mois.
Après avoir testé en phase prototype BackUp au Burundi, Rwanda et en Guinée-Conakry, le déploiement de BackUp dans le nord-est du Nigéria constitue le premier déploiement à moyen terme de BackUp sur le terrain, dans sa version finale et selon la méthodologie de déploiement développée par WWoW.
Le déploiement de BackUp et des Ideas Cube (BSF) dans la région doit permettre aux survivantes et survivants de violences sexuelles d’avoir un espace de parole et d’accès à l’information sur les violences sexuelles liées aux conflits, de faciliter leur accès aux services de prises en charge, et de sécuriser les informations collectées via l’outil BackUp. Le projet vise également à mieux identifier les victimes et leurs besoins et à documenter les exactions, afin de nourrir les processus de justice ainsi qu’un plaidoyer étayé. Les organisations de la société civile éprouvent des difficultés, en raison d'un manque d'expertise et de ressources, à traduire en justice les auteurs de violences sexuelles liées aux conflits. Même lorsqu'elles parviennent à le faire, elles rencontrent encore des obstacles pour fournir un soutien adéquat en termes médicaux, psychosociaux et socio-économiques. Ce projet vise à appuyer leurs capacités, mais aussi à développer l’aspect justice et documentation de ces crimes, ainsi que leurs modes opératoires.
QUELS OBJECTIFS VISÉS PAR LE PROJET ?
Ce projet au nord Nigéria s’inscrit dans la politique globale de WWoW de mettre en place des outils accessibles, fonctionnels et agiles permettant de mieux documenter et donner une voix aux survivantes et survivants de violences sexuelles liées aux conflits et aux crises.
De façon plus spécifique, le projet financé par le Centre de Soutien et de Crise français vise à :
-
Permettre aux victimes de violences sexuelles, ou à un tiers, de partager les informations concernant un crime, de manière sécurisée via BackUp.
-
Permettre aux victimes, même dans les zones les plus reculées, de se signaler et d’être identifiées grâce au développement de BackUp en version offline, en s’appuyant sur les dispositifs d’internet offline de BSF.
-
Permettre aux victimes de crimes graves d’accéder aux services de prise en charge grâce au travail de cartographie du personnel de santé (effectué par les équipes de WWoW) à Maiduguri et ses alentours.
-
Permettre à toute personne d’accéder à du contenu contextualisé sur les violences sexuelles liées au conflit dans la région, via la nouvelle fonctionnalité informative de BackUp (en cours de développement) et les bibliothèques numériques de BSF.
-
Collecter, conserver et sécuriser les informations sur le Back Office, outil d’analyse criminelle développé par WWoW, afin d’assurer l’inaltérabilité et la non-répudiation d’éléments de preuves.
-
Centraliser les informations collectées concernant les exactions commises en matière de violences sexuelles dans la région, afin de produire des rapports et construire un plaidoyer dans l’objectif, à terme, d'influencer les politiques publiques.
-
Renforcer les capacités des réseaux de survivantes et survivantes et ceux de la société civile.
-
Coordonner les besoins avec les acteurs internationaux, en particulier avec le bureau de la représentante spéciale du SRSG pour la prévention et la lutte contre les violences sexuelles ainsi qu'avec la Fondation Mukwege et les organismes des Nations unies présents.
-
Contribuer à nourrir des procédures judiciaires que ce soit au niveau national ou international.
QUELLES ACTIONS ENTREPRISES ?
Les équipes conjointes de WWoW et BSF ont effectué une première mission du 11 au 18 février 2024
Ce projet a débuté le 1er novembre 2023 pour une durée de 18 mois.
Il mobilise une chargée de projet à plein temps, une analyste, deux consultants et un stagiaire affecté à ce projet particulier ainsi qu’un soutien substantiel de la présidente fondatrice de WWoW. Sur place, WWoW travaille en lien étroit avec le GrassRoot Researchers Association et un point focal chargé de déployer BackUp dans les communautés. WWoW implique également des survivantes de Chibok, ainsi qu’une survivante Zimbabwéenne, en appui notamment pour partager son expérience dans le cadre d’ateliers.
Une grande conférence réunissant tous les acteurs sera organisée autour de ce projet en juin ou septembre 2024 à Maiduguri.
Une mission de terrain préliminaire a été effectuée entre le 11 et le 18 février 2024, dans la ville de Maiduguri, dans l’État du Borno, au nord-est du Nigéria, par deux expertes de WWoW et deux personnels de BSF. Cette première mission a permis d’échanger avec les survivantes et survivants, les représentants religieux et traditionnels, les organisations de la société civile et les organisations internationales. Elle a également permis d’identifier les besoins urgents, les zones pour déployer BackUp et les Ideas Cube de BSF ainsi que de déterminer les besoins généraux en matière de prévention et de lutte contre les violences sexuelles.
Ce projet au nord-est du Nigéria, est une phase pilote importante qui vise à passer à l’échelle pour le déploiement de l’outil BackUp. Cette phase pilote (engagée à une plus petite échelle en Ukraine et en RDC) fait suite à une série de phases de preuves de concept effectuée entre 2018 et 2021 en Libye, Rwanda, Burundi et Guinée Conakry. Cette phase de preuve de concept a permis de valider l’opérationnalité de l’outil et de finaliser sa forme actuelle. Cette phase a été financée par la direction de l’innovation de l’AFD et par le Business Partnership Facility du Luxembourg.
Dans ce cadre, et ce, depuis 2017, WWoW travaille avec son partenaire exclusif IntechLux en charge du développement et de la maintenance de l’outil BackUp.
QUE NOUS APPORTE LE PROJET ?
-
En s’appuyant sur les dispositifs internet offlines de BSF, WWoW va pouvoir développer une version offline de l’outil BackUp qui sera désormais accessible dans des zones peu ou pas connectées.
-
WWoW renforce également le volet prévention de l’outil BackUp en ajoutant une nouvelle fonctionnalité permettant à ses utilisateurs d’accéder à du contenu informatif.
-
Le projet vise aussi à créer des liens notamment avec les survivantes et les survivants afin d’échanger autour de leurs expériences, leurs besoins et de porter leur voix au niveau international.
-
Le déploiement permet d’ancrer les actions de WWoW dans la région et d’initier à long terme un déploiement plus large sur toute la région du Sahel et du Golfe de la Guinée.
-
Il permet enfin de contribuer au développement d’un modèle d’enquête sur les crimes sexuels, actuellement en déploiement sur une autre zone, afin de mettre en place une méthodologie permettant d’étayer rapidement la commission de ces crimes sexuels lors d’exactions et d’alerter comme de nourrir les procédures judiciaires à travers le recueil de preuves rapides.