19 Juin, Journée internationale pour l’élimination des violences sexuelles en temps de conflit
NE SOYONS PLUS DES ARMES DE GUERRE
Adoptée en 2015 par les Nations Unies après des années de pression et d’activisme de la société civile et des survivant.e.s, la Journée internationale pour l’élimination des violences sexuelles en temps de conflit est une journée symbolique, à l’instar de toutes celles que l’on voit défiler au long de l’année. Pourtant, son adoption est primordiale : elle a permis de mettre en lumière la question du viol de guerre, de la porter plus fortement dans les débats internationaux et de la diffuser au grand public.
En 2018, nous sommes nombreux à avoir entendu l’expression du « viol comme arme de guerre » et nous savons, plus ou moins ce que le viol de guerre implique : des stratégies de conflit pensées, répondant à des objectifs précis, des viols systématiques commis avec extrême violence, souvent avec des objets, en public, devant les enfants, les familles… Nous avons tous vu les camps de viols en Bosnie-Herzégovine ; les centaines de milliers de viols en République Démocratique du Congo (et le combat acharné du Dr Denis Mukwege) ou encore les atrocités au Rwanda. Plus récemment encore, nous avons tous regardé l’atroce calvaire des Yézidis et des minorités irakiennes aux mains de Daech. Enfin, aujourd’hui, ce sont les Rohingyas et ces femmes qui accouchent de dizaines d’enfants issus du viol que nous regardons à travers nos écrans. Sans oublier les Syriens, les Libyens, et tous les autres.
Alors, demain qui allons-nous continuer de regarder sans rien faire ?
Si la question des violences sexuelles dans les conflits est devenue un sujet plus médiatisé et l’une des priorités affichées des organisations internationales, beaucoup de choses sont dites mais peu sont réellement faites. Il faut savoir que :
2 victimes sur 3 n’ont toujours pas, ou pas eu, accès aux soins nécessaires, parce que les services n’identifient pas ces victimes qui se terrent.
1 victime sur 3 se suicide dans les 3 jours de la commission du crime, parce qu’elle n’a eu personne vers qui se tourner.
Pas un seul conflit contemporain n’existe sans que le viol ne soit utilisé de façon systématique et endémique.
On estime que 9 migrants sur 10 sont violés sur la route des migrations (hommes, femmes et enfants confondus) ou que le viol dans leur pays d’origine est la cause de leur migration, sans pour autant que cela ne soit documenté et que les suivis ne soient fournis à ces victimes quand bien même elles se trouvent en Europe.
La violence sexuelle est massive dans les camps de réfugiés alors qu’ils devraient être le lieu où les victimes trouvent un peu de sécurité.
Les enfants issus du viol ne disposent d’aucun statut : ils ne sont pas considérés comme victime indirecte des viols de guerre mais sont pourtant stigmatisés dans les sociétés dans lesquels ils grandissent, souvent abandonnés par leur mère et sans accès à l’éducation.
Ainsi, si la sensibilisation est nécessaire, elle est hautement insuffisante sans l’action. Je passe énormément de temps dans des conférences, des évènements et dans les médias à expliquer ce qu’est le viol de guerre. Parce que certains stéréotypes persistent : que les viols sont partie intégrante des conflits, qu’ils sont le butin du guerrier, qu’ils existent depuis la nuit des temps, que l’on ne peut pas y faire grand-chose… Ou encore qu’ils sont une « question de femme » alors qu’il concerne tout le monde ; qu’ils renvoient à une pulsion sexuelle alors que la plupart des viols sont commis par objet. On tire dans le vagin des femmes, on développe des méthodes de tortures sexuelles sophistiquées, on drogue les exécutants, on utilise les migrants pour violer comme on utiliserait un outil. Loin d’être une pulsion, le viol a, de toute façon, toujours été une prise de pouvoir sur quelqu’un d’autre. Mais parmi tous ces préjugés, celui qui me dérange le plus reste à penser que le viol de guerre est une fatalité et que nous ne pouvons rien y faire. Il est urgent de repenser ce phénomène afin de proposer des réponses adéquates. Cela commence par la fin de l’impunité judiciaire sur ces crimes, ce qui ne pourra s’effectuer qu’avec un changement de mentalité à 180 degrés. Le viol n’est pas une fatalité, et le viol de guerre encore moins.
J’ai créé l’ONG We Are NOT Weapons Of War en juin 2014, au moment du Sommet Global sur les violences sexuelles dans les conflits à Londres. Si ce sont des premiers pas notables, énormément de choses restent encore à faire. Parce que sur le terrain, quasiment rien n’a changé ; les services ne parviennent pas à identifier les victimes. Le contexte culturel, la réalité du terrain et le manque de flexibilité des grosses organisations ne permettent pas de répondre efficacement et simplement aux besoins des victimes. Ces dernières ne veulent pas être enfermées dans ce statut de « victimes de viol de guerre » mais ont des projets, des envies de vivre, veulent être acteurs et actrices de leur vie et de leur futur. Elles refusent de plus en plus de répondre aux incessantes demandes d’entretien des ONG, des organisations internationales, des enquêteurs ou des journalistes. Les victimes ont survécu ; elles veulent vivre et ne veulent pas avoir à dire, redire et re-redire l’horreur de ce qu’elles ont vécu.
La plupart d’entre elles n’ont aucun espoir dans la justice, quasiment jamais saisie sur ces questions. Et quand elle l’est, la procédure est très longue. C’est souvent un calvaire de plus à entreprendre pour ces survivant.e.s. Il est impératif de tout repenser. Impératif d’écouter ces personnes et de répondre à leurs besoins au lieu de décider ce qu’ils « devraient » être, ce qu’ils « devraient » faire.
Face à cela, WWoW développe un outil numérique : le Back Up, qui permet de mettre les victimes en relation quasi immédiate avec des services (médicaux, sociaux, juridiques) où qu’elles se trouvent et de recueillir les informations judiciaires en les authentifiant, permettant ainsi que ces hommes, femmes et enfants n’aient plus à être sollicités mais puissent au contraire reprendre leur vie. Le Back Up permet également à toute personne tierce de transmettre des éléments d’information pouvant constituer des preuves judiciaires. Il est aussi et surtout l’outil qui donne une voix aux victimes, leur permet de se signaler et d’être prises en charge tout en organisant une coordination et une collaboration plus efficace entre tous les acteurs professionnels de la question.
En cette journée du 19 juin 2018, nous avons donc décidé de nous mobiliser. Non par une conférence, un colloque ou un atelier, mais en lançant un marathon du don pendant 24h. il est impératif de mobiliser, les Etats, le secteur privé et les organisations internationales et régionales pour réunir les fonds qui permettront la dissémination de l’ outil Back up dans 5 pays, 3 camps de réfugiés et sur la route migratoire. Ce 19 juin est donc une journée, simplement, pour que tout un chacun porte son attention sur la question des violences sexuelles dans les conflits et environnements fragiles, s’informe, partage et s’engage à nos côtés.
Parce que notre corps ne peut être un champ de bataille et parce que les nouvelles formes de violence et la nature des conflits contemporains doivent induire des nouvelles réponses. Parce qu’il nous faut repenser, innover, créer et s’engager. Parce que comme le disait Martin Luther King « Justice is JUST us ». Soyons celles et ceux que nous attendons : soyons les acteurs et actrices du monde que nous voulons. Céline BARDET, Fondatrice et Présidente de WWoW
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