Le 25 janvier dernier, Céline Bardet, Fondatrice et Directrice de We Are Not Weapons of War (WWoW) participait à la conférence de presse organisée par la Cour Grand-Ducale du Luxembourg pour annoncer le Forum Stand Speak Rise Up.
A l’initiative de S.A.R La Grande Duchesse du Luxembourg et co-organisé par WWoW et la Fondation Mukwege, ce forum international aura lieu les 26 et 27 mars prochains, à Luxembourg.
Parce que ce forum se veut être un véritable appel à l’action face au fléau des violences sexuelles dans les conflits et environnements fragiles, Céline Bardet a souhaité expliquer l’importance de cette initiative et rappeler combien il est essentiel que chacun soit acteur du changement.
Bonjour à toutes et à tous,
Votre Altesse, Chère Madame, Cher Docteur, cher Denis,
C’est un grand honneur pour moi, mais aussi et surtout pour mon organisation, We Are NOT Weapons Of War, d’être ici aujourd’hui pour parler et annoncer cet événement si important qu’est le forum StandSpeakRiseUp créé à l’initiative de son Altesse Royale la Grande Duchesse du Luxembourg.
Étant moi-même juriste et enquêtrice criminelle internationale, je passe beaucoup de temps dans les zones de conflits et post conflits, ainsi aux mots ; j’ai choisi l’action.
Je veux d’abord remercier du fond du cœur, Son Altesse Royale, la Grande Duchesse, pour laquelle j’ai beaucoup de respect, mais aussi, et je veux le dire ici, beaucoup d’affection et d’admiration notamment pour le courage dont elle fait preuve en choisissant de s’engager, en plus de tous les combats qu’elle mène, sur cette question si difficile des violences faites aux femmes et particulièrement sur celle complexe du viol de guerre.
Je veux remercier aussi et rendre hommage à toute son équipe qui travaille d’arrache-pied avec nous, pour mettre en place ce forum.
Je suis également honorée, fière aussi (et je dois l’avouer toujours intimidée à chaque fois que je suis en sa présence), d’être aux côtés du Dr. Mukwege et de sa fondation pour la mise en place de ce forum. Je crois qu’il n’y a plus de mots pour vous qualifier Monsieur ; je dirais que votre simple existence, votre force comme votre émotion si pudique, ont rendu ce monde plus beau et donnent de l’espoir à beaucoup.
We Are NOT Weapons Of War, que j’ai fondé en 2014 est une petite ONG, basée en France à Paris. J’ai voulu lui donner ce nom qui sonne comme une campagne, comme un cri, comme une revendication Nous ne Sommes pas des Armes de Guerre parce que j’étais obsédée par ces simples questions :
Comment à un moment, nous l’humanité, avons-nous fait du corps des femmes et dans certains cas, de celui des hommes, des armes de guerre ?
Comment à un moment, nous l’humanité, avons-nous pu accepter, de détourner le regard et de considérer normal ces viols d’une extrême violence, des viols publics, systématiques, devant les enfants, les maris, dans les rues à la vue de tous, des viols que subissent des gens de tous âges, y compris de très jeunes enfants.
Comment nous l’humanité, avons-nous pu pendant des décennies et encore aujourd’hui, baisser les yeux en se disant c’est loin tout cela, cela ne me concerne pas, ou encore c’est la guerre, cela arrive depuis toujours et nous ne pouvons rien y faire.
J’ai entendu ces phrases si souvent qu’une sorte de rage en est née, que je n’ai pas pu continuer mon travail sans mettre au profit de cette cause mon expertise et mon temps. Et parce que je vous le dis, si vous rencontrez ne serait-ce qu’une seule fois, une survivante, plus jamais vous ne pourrez détourner ce regard et continuer votre chemin comme si de rien n’était. Je n’ai pas pu accepter, en faisant mon métier de juriste, de me heurter à ce silence, d’ignorer ces femmes invisibles, celles que l’on ne veut pas voir et que l’on ne veut surtout pas entendre ; ni nourrir une forme de tolérance acceptée concernant les victimes de viols comme si le fait d’avoir survécu et d’avoir vécu cela, faisant qu’au fond ce n’était pas si grave.
Il est venu tard si tard ce moment où le monde a enfin pris un peu conscience de ce que signifiait l’utilisation de ces viols dans les zones fragiles, dans les conflits bien sûr, mais aussi aujourd’hui sur les routes des migrations et depuis longtemps dans les camps de réfugiés.
Cette arme que j’appelle le crime parfait, a pu en toute impunité continuer à s’étendre telle une épidémie dans tous les conflits et les contextes chaotiques. Daech en Irak et en Syrie ou Boko Haram au Nigeria en ont fait une arme massive et systématique. Des manuels ont été développés expliquant comment violer, qui violer, et selon les âges, quelle approche adopter. C’est cela aussi le viol de guerre et c’est assez fou qu’en 2019 nous soyons encore indifférents à une telle pratique. L’esclavage sexuel a été institutionnalisé, la Bosnie a connu des camps de viols, des zones créées avec pour seul but de transformer les femmes en esclaves sexuelles, des femmes à disposition violées nuit et jour à raison de dizaines de fois par jour ! Ceci à 2000 km d’ici, ceci en Europe. Le viol de guerre contrairement aux idées reçues n’a ni culture, ni nationalité, ni religion. Il n’est pas l’apanage de pays ou de régions en particulier, il n’y a pas un gêne ou une culture du viol selon que l’on soit africain, européen ou asiatique. Le viol dans les conflits est partout, a été utilisé en masse pendant la Seconde Guerre Mondiale et rayé des livres d’histoire. Ceci n’est plus tolérable. Nous ne pouvons plus continuer à vivre et nourrir des préjugés, à méconnaitre ce qu’est de manière précise cette arme à déflagration multiple et à continuer de penser que cela ne concerne que les autres.
Le viol dans les conflits est une arme, comme une kalachnikov, il est systématique, organisé voire ordonné à haut niveau. C’est un acte de torture et d’humiliation, ce n’est pas une pulsion sexuelle ni un dommage collatéral de guerre.
Non le viol n’est pas une fatalité, Nous pouvons y mettre fin, nous pouvons changer la donne et c’est en le faisant ensemble que nous y parviendrons. WWoW fonctionne comme une start up à but non lucratif avec pour objectif de tirer d’une expérience de terrain une réflexion, afin de répondre à cette endémie de manière impactante et innovante. De renverser les schémas, afin de produire des réponses qui correspondent aux besoins des victimes et qui soient adaptées aux contextes dans lesquels ces crimes odieux ont lieu. WWoW travaille aussi avec les nouvelles technologies. Parce que la majorité des victimes ne sont même pas identifiées et n’ont pas accès aux services, ou se trouvent dans des lieux reculés, WWoW développe un outil numérique, Back Up, qui permet aux survivant.e.s de se signaler, d’accéder aux services et de sauvegarder les éléments de preuves. Back-Up est aussi et surtout l’outil qui donne une voix aux victimes, qui leur permet de s’identifier et d’être prises en charge au niveau local, tout en organisant une coordination et une collaboration plus efficace entre tous les acteurs professionnels de la question.
Les violences sexuelles dans les conflits sont une question de paix et de sécurité et le Prix Nobel de la Paix cette année, co-remis à Denis Mukwege et Nadia Murad le prouve. Le viol de guerre est depuis des années reconnu comme un élément constitutif de crime de guerre, de crime contre l’humanité et de génocide. Pourtant encore trop peu d’auteurs de ces crimes (qu’ils les commettent ou bien qu’ils les ordonnent et planifient) sont poursuivis. L’impunité règne en maître, alors il nous faut nous regarder en face parce que nous seuls, parce que nous le décidons, pouvons mettre fin à cette situation.
Aucun autre crime que celui des violences sexuelles dans les conflits et zones fragiles ne bénéficie d’une telle impunité, comme s’il n’existait pas, comme si ces survivantes étaient des éléments invisibles de nos sociétés. Cela est intolérable et c’est un abîme dans lequel nous avons tous plongé, et duquel aujourd’hui nous devons tous sortir. Il est de notre devoir moral et éthique de ne plus tolérer que le corps devienne un enjeu de guerre pour des objectifs de nettoyage ethnique, de terreur et de terrorisme ou pour des raisons politiques, stratégiques ou économiques.
Le viol de guerre est le seul crime qui ne se contente pas de cibler une victime mais crée des victimes indirectes en détruisant les familles, les couples, les communautés, en installant la honte et le stigma, en mettant au monde des enfants issus de ces viols, des enfants sans identité, sans état civil souvent, sans soutien ni accompagnement. C’est le crime parfait, parce c’est aussi le plus efficace, le moins coûteux et un des plus utilisés aujourd’hui dans le monde.
Aucun chiffre vérifié n’existe. Nombre de victimes ne sont jamais identifiées, la plupart encore aujourd’hui n’ont reçu aucun soin que ce soit médical, psycho-social ou autre. Il crée un trauma profond qui demande un accompagnement conséquent. Il est un besoin plus qu’urgent d’élever la voix, de fédérer et de répondre à cet appel à l’action que lance Son Altesse Royale la Grande Duchesse du Luxembourg à travers ce forum. Forum qui se doit non pas d’être un aboutissement, mais bien le point de départ d’un renversement des schémas et des systèmes pour commencer à réellement saisir l’urgence et l’ampleur de la situation, afin d’y répondre, non pas dans des années, non pas demain, mais aujourd’hui et maintenant. Un forum qui doit être le point de départ d’un changement auquel tout le monde doit prendre part. Le temps de l’échec est terminé, celui des solutions doit prévaloir.
Parce que la première arme contre les violences sexuelles dans les conflits c’est NOUS. Parce qu’il nous faut faire changer la honte de camp, parce qu’il nous faut être courageux et parler ; parler et écouter, écouter celles que l’on qualifie souvent de silencieuses. Mais les survivantes ont des voix, elles veulent parler, chaque jour dans tous les pays, je rencontre des femmes et des hommes qui racontent ce qu’ils ont vécu.
Le problème n’est donc pas le silence DES Victimes, le problème c’est le silence de nos sociétés. Ainsi, pour vaincre ce crime intolérable, il nous faut des voix bien-sûr, mais il nous faut aussi et d’abord des moyens. Nous ne pouvons plus continuer à parler tout en ne fournissant aucun moyen d’actions à ceux qui sur le terrain et dans le monde entier travaillent à fournir des solutions, travaillent à ce plaidoyer si essentiel. Nous ne pouvons pas continuer à condamner et à s’indigner sans aucune volonté politique en marche derrière. L’émotion est digne, mais elle reste éphémère. Faisons de cette émotion, qui est l’essence même de ce qui fait de nous des êtres humains, une force de changement pour construire le monde que nous voulons. Je vous remercie. Céline Bardet, Fondatrice et Directrice de We are NOT Weapons of War
Le site du Forum Stand Speak Rise Up, c’est par ici,
Le site de We Are Not Weapons of War (WWoW), c’est par ici.
Crédit photo : © 2019 Cour Grand-Ducale / Sophie Margue
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